Une nouvelle réalité...

Voici un an et demi, nous avons fait l’acquisition avec Mélanie d’un refuge dans les Vosges saônoises.

Perdu au milieu de la forêt, à 2 km des premières habitations, cette bâtisse est une ancienne maison forestière où le garde forestier vivait avec sa famille à l’époque. Une place centrale pour l’exploitation forestière où la vie devait être rude en hiver, rapidement isolée lors de fortes chutes de neige.

En voyant des anneaux au mur extérieur, j’aime à imaginer l’activité avec les chevaux, le bruit de la scie, l’odeur de la sciure, le débardage des grumes avec le cheval, le repos après une journée éprouvante.

Des récits que nous avons pu glaner des ancien.nes nous confirment que des périodes difficiles ont marqué ce lieu.

L’endroit nous a attirés par sa vétusté et la sobriété à laquelle cela invitait sans eau courante, sans électricité notamment. Petit à petit, nous avons habité les lieux, découverts la faune et la flore environnante: le ruisseau et son eau claire… les forêts d’épicéas frappés par la maladie et séchant sur pied…les salamandres… les chants des oiseaux… le calme…

Chaque caillou, chaque arbuste, chaque arbre devenant familier… Comme une habitude qui se créait et qui rassure. Je me surprends parfois à me dire en arrivant, après une période en ville: « Ah! C’est toujours là! La rivière est toujours en eau… Le petit chène est toujours debout… Le refuge est bien en place… ». Il y a quelque chose de rassurant.

Et puis un jour, des bruits de moteurs surgissent du fond du vallon…Je comprends au bruit que plusieurs engins à moteur arrivent… Je sors du refuge et me dirige vers la route: les débardeurs sont en marche! Où sont passés les chevaux ? Le/la bûcheron.ne avec sa scie ?… En face de moi, 3 gros engins, chacun avec sa particularité: un pour scier et ébrancher avec un bras télescopique de plusieurs mètres, un pour débarder et tirer les grumes, un pour les charger et les évacuer vers la place de dépôt où, plus tard une valse de camions se mettra en place pour approvisionner la scierie, quand celle-ci donnera son go pour alimenter sa chaîne de production en juste à temps. Chacun est piloté avec un joystick, un vrai jeu pour enfants !

Certains arbres sont mêmes coupés juste à la longue des containers qui partiront en chine pour revenir en planches contreplaquées ou autres…D’un point de vue technologique ou gestion de production, cette organisation est impeccable! On parle d’exploitation forestière… l’arbre vu comme une ressource pour nos usages de toutes sortes.

D’un point de vue du développement il faut à cette mécanique quelques minutes pour abattre un arbre, l’ébrancher, le débiter et l’évacuer… quand la nature à mis des années à le faire pousser ! En quelques heures, un hectare devient un champ de branches de part et d’autre de sillons formés par les pneus des machines. La forêt devient un paysage de souches et de branches. Et puis aussi rapidement qu’ils sont venus, ces engins repartent: optimisation…Rendement…

Ce samedi soir en arrivant au refuge, imaginant retrouver un espace connu, je comprends au fur et à mesure que j’avance que quelque chose s’est passé: chemin retourné… flanc de montagne devant le refuge rasé… Des grumes le long du chemin… Des tas de branches… Le paysage autour de refuge a changé ! Dans ma tête se confondent les images d’avant et celles sous mes yeux! La forêt d’épicéas…plus là ! Le petit chêne ici…non plus, enfin si, mais couché car un engin à roulé dessus! oh, même les framboisiers sauvages devant le refuge sont couchés… Ils ont du trainer un arbre avec sa cime ! Et le panneau avec le nom du chemin… renversé ! En faisant le tour je mesure l’état des lieux, restant questionnant sur la conscience des opérateurs.rices des machines. Je suis hébété! Abasourdi! l’environnement si familier n’est plus! Une nouvelle réalité se présente à moi.

Je mesure ce que vivent les victimes de catastrophes naturelles… Tu quittes un univers connu et en une fraction de seconde, celui-ci n’est plus!

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Alors oui, je reste indigné par l’activité humaine et notre capacité à avoir vu la nature, humaine et non humaine, comme des ressources: ressources naturelles…ressources humaines… Je ne sais plus qui parlait de notre arrogance à vouloir gérer des choses, qui, naturellement, n’ont pas besoin de nous pour se déployer. Est-ce que nous n’avons pas commencé à déraper quand nous avons commencé à vouloir gérer ?

En tout cas, maintenant, ce qui m’est donné de vivre est l’intégration de cette nouvelle réalité avec comme enjeux personnel: comment dans ce contexte chaotique, qui génère chez moi de la colère, de l’angoisse, de la peur, de l’indignation…est-ce que je garde ma joie et ma force créative ? Comment interpeller sur des pratiques qui me semblent contribuer à l’épuisement dans nos écosystèmes, humains compris ?

Pu…naise! Il y a le feu, quand est-ce que nous nous disons que nous sommes allé trop loin et que nous pouvons vivre bien avec moins ?

Et là ou çà me plonge dans un grand désarroi, c’est de prendre conscience que j’y contribue, par mes choix de vie… et à la fois, je vois aussi la place pour passer à l’action, et prendre ma part pour inverser les choses! Même si mon panneau avertissant le camion qu’il y avait des œufs de grenouilles et des tritons n’a pas résisté au poids de ce dernier… Les œufs non plus d’ailleurs…

Alors je respire! Je laisse vivre l’émotion présente et je laisse émerger ce qui est important pour moi : agir et participer à l’évolution des consciences sur nos modes de vie et de rapport au vivant humain et non-humain.

J’aime voir ce vécu sous l’angle de la courbe du deuil de Kubler-Ross, après l’état de choc, le déni, la colère puis le deuil et l’acceptation. Et je vois que pour vivre ce passage du choc à l’acceptation, le processus de la communication NonViolente m’est d’un précieux soutien pour accueillir mes émotions, identifier mes besoins et passer à l’action.

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Alors l’envie de partager un outil d’acceptation minute que m'inspire cette aventure:

1 je respire

2 je reste au contact de ce qui est: la réalité vécue comme un choc

3 j’observe ce que çà génère comme pensées

4 je prends conscience de mes ressentis corporels et émotionnels

5 j’identifie ce qui important pour moi en terme de besoins et/ou d'enjeux

6 fort.e de toutes ces informations, je clarifie l’action juste (ne rien faire est une action aussi…)

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Alors, oui, derrière ma colère, mon indignation, je perçois le besoin d'agir pour faire prendre conscience de l'impact de l'action humaine sur les écosystèmes. Cela prend différentes formes: appeler le garde ONF pour alerter... Faire une action artistique pour informer les passants autour du refuge... Investir encore plus le terrain du refuge et en faire une zone préservée...Et avec les amis de la coopérative Mana mana, ouvrir notre cursus sans prof ni cours, où nous sensibiliserons et accompagnerons des jeunes, dès janvier 2024, à entreprendre des projets courageux qui changeront la donne.

Et pour suivre notre activité au refuge, c'est par ici: www.refugedufray.fr